Pessah : la Révolution
Par Rav R.Sadin
Dans la Hagada de Pessah, le racha demande: « ma ha’avoda hazot lakhem (qu’est-ce que ce service pour vous?) », et nous lui répondons « ba’avour zé assa Hachem li bétséti miMitsrayim (c’est pour cela qu’Hachem m’a fait sortir d’Egypte) ».
A ce sujet, le Beth Halévy demande: quel lien y a-t-il entre la réponse et la question ? La réponse ne semble pas, logiquement, répondre à la question !
Et il donne la réponse suivante:
Le racha pense que si on fait le Séder, si on mange de la matsa, si on boit les quatre coupes de vin, c’est parce qu’on est sorti d’Egypte. Or, contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette idée n’est pas juste. Bien sûr que, dans l’exercice du Séder (lorsqu’on mange de la matsa, lorsqu’on boit le vin, lorsqu’on raconte l’histoire de la sortie d’Egypte etc…), on se rattache au fait historique qu’est la Sortie d’Egypte. Cependant, la nature de ce fait historique est complètement différente selon la vision commune incarnée par le racha, et selon la vision toraïque des choses:
-le racha croit toujours que ce qui est prioritaire dans le monde, ce qui est premier, ce qui est puissant, ce sont les faits, la matière, le monde; et que c’est le monde qui produit des idées;
-alors que c’est exactement l’inverse qui est vrai: c’est l’idée qui est plus fondamentale que le monde, et le monde n’est là que pour incarner physiquement une idée.
Cette idée est fondamentale, car elle est le nœud-même de la liberté. Essayons donc de la comprendre.
Le racha considère que tout est procédural. Qu’il y a d’abord une histoire, et que celle-ci entraîne des consciences. Que si une personne pense telle ou telle chose, c’est parce qu’elle a eu tels ou tels parents, parce qu’elle a eu telle ou telle vie; parce qu’elle a été formatée, déterminée, par l’existence. Or c’est cela l’esclavage: être complètement façonné par quelque chose qui n’est pas moi.
Que dit à ce propos la Hagada ?
Le racha ne comprend pas pourquoi nous restons encore attachés à la Sortie d’Egypte alors qu’elle a eu lieu il y a plus de 3000 ans. Il veut passer à autre chose. Nous lui répondons: « C’est pour cela (pour le Séder de Pessah) qu’Hachem nous a fait sortir d’Egypte » c’est-à-dire: toi tu crois que la fête, la spiritualité, est un produit de l’Histoire, mais c’est le contraire qui est vrai ! En vérité, les notions de Séder, matsa, quatre kossot, quatre niveau de liberté, parole etc… ont toujours existé. La preuve: Avraham Avinou faisait Pessah des centaines d’années avant que la Sortie d’Egypte ait lieu! Il mangeait des matsot à Pessah, car Pessah est un moment prédestiné à la liberté. Et parce que la spiritualité-même du Séder existe en soi.
Simplement Hachem, ne voulant pas que nous soyons un peuple qui vit dans les nuages, a boulversé toute l’histoire de l’humanité pour donner une incarnation matérielle à une idée éternelle. Et c’est cela que nous répondons au racha !
Celui-ci demande: « Qu’est-ce que ce service pour vous ? » pour dire « Ça y est, l’histoire est terminée! Passons à autre chose! ». Mais nous lui répondons: « Toi, tu crois qu’on commémore la Sortie d’Egypte, mais on ne la commémore pas! Le Séder n’est pas une commémoration de la Sortie d’Egypte! Ce n’est pas pour la Sortie d’Egypte que nous faisons le Séder! C’est pour que nous puissions faire le Séder qu’Hachem nous a fait sortir d’Egypte! ».
Par conséquent, ce n’est plus l’idée qui est l’enfant de l’Histoire. Ce n’est plus elle qui est secondaire par rapport à la matière, au fait brut. C’est exactement le contraire ! Le fait brut est l’enfant (secondaire) par rapport à l’idée (qui, elle, est éternelle et universelle).
Ces deux positions vont fonder l’esclavage ou la liberté dans l’existence: si la spiritualité d’une personne est toujours explicable par des faits bruts, matériels (c’est-à-dire que ses pensées et ses croyances sont toujours uniquement le produit de son environnement, de ce qu’il a vécu), cette personne est encore en Égypte. Car sa spiritualité a tout le temps pour source un fait matériel, l’existence elle-même. Par conséquent, cette personne n’est pas libre. Elle est constamment en train d’intellectualiser, de rationaliser. De projeter intellectuellement une vérité ou une réalité qui est elle-même le carcan matériel de l’existence.
Par contre, si une personne vit exactement le contraire (elle a découvert en elle-même sa raison d’exister, et analyse tous les événements de l’existence comme des occasions d’accomplir la mission pour laquelle elle a été créée), elle est vraiment libre. Car les événements sont toujours là pour elle. Ce n’est pas elle qui est là pour les événements. Tout ce qui arrive autour d’elle est toujours une occasion à son service qui lui permet d’accomplir ce pour quoi elle a été créée.
Mais comment savoir quelle est notre mission dans ce monde ? Comment savoir pour quoi nous avons été créé ?
Comme l’explique le Gaon de Vilna, il faut connaître notre plus grande qualité et notre pire défaut, magnifier cette qualité, en faire quelque-chose d’extraordinaire, et lutter sans relâche contre notre pire défaut. Si une personne applique cela jusqu’au bout, tout ce qui lui arrive sera un élément lui permettant d’atteindre cet objectif, de réaliser la mission pour laquelle elle a été créée.
S’il rencontre une personne énervante, par exemple, il aura la possibilité de rester doux et agréable, au lieu de se mettre en colère, et de commencer à dire des paroles blessantes. Et s’il surmonte l’épreuve en ayant la bonne réaction, il ne sera plus esclave mais roi. Il ne sera plus soumis à ses pulsions mais maître sur elles. Il ne sera plus soumis aux événements, mais il les utilisera pour réaliser ce pour quoi il a été créé.
Il sera vraiment libre.
Il sera vraiment libre.