Pinhas ou la paix intérieure
Par Dan Devash
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Le contexte
Après avoir tenté sans succès de maudire Israël, Bil’am conseille à Balak de faire fauter les hébreux avec les filles de Moav. Les Enfant d’Israël plongèrent alors dans la débauche mais lorsque Moshé voulut juger les fautifs, Zimri, un des chefs de la tribu de Shim’on, vint alors défier publiquement Moshé en s’unissant à la princesse midianite Kozbi bat Tsour. Face à la consternation des chefs hébreux et à leur manque de réaction, Pin’has, muni d’une lance, pénètre dans la tente de Zimri et transperce les corps accouplés de Zimri et de Kozbi.
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Un geste fanatique
Ce qui étonne dans le geste de Pinhas, c’est qu’un fidèle puisse agir envers son frère juif, sans jugement, et surtout de manière aussi cruelle alors que non seulement la Torah rejette la violence et la cruauté, mais de plus, selon nos Sages, la cruauté n’existe même pas dans les gènes de ceux qui ont accepté la Torah :
« Le peuple d’Israël possède trois signes : la pitié, la retenue et la bonté » (Yebamot 79a)
שלשה סימנים יש באומה זו: רחמנין וביישנין וגומלי חסדים
Or, ce geste de Pin’has ne montre ni retenue, ni pitié, ni bonté ! Il ressemble plus à celui d’un déséquilibré !
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La loi est avec Pinhas
Cependant, les textes prouvent que l’acte de Pin’has était bien conforme à la Halakha :
« Celui qui a un rapport avec une idolâtre, les fidèles zélés peuvent le frapper » (Mishna Sanhédrin 9, 6)
הַבּוֹעֵל אֲרַמִּית, קַנָּאִין פּוֹגְעִין בּוֹ
Le Rambam précise le cadre de cette loi :
Pour frapper le fauteur, Il faut que le rapport ait lieu avec la fille d’un idolâtre, en public c’est-à-dire devant au moins dix israélites, lors même du rapport, comme pour Pin’has. Cependant, après leur désaccouplement ou s’il n’y a pas dix israélites ou encore si la femme n’est pas une idolâtre, il est interdit de tuer le fauteur (Piroush Hamishnaiot)
שיבעול בת עובדי ע »ז בפרהסיא בעשרה מישראל או יותר, ובשעת מעשה כגון פנחס אבל אחר שבא עליה ופירש, או שלא יהיה בקהל ישראל או שאינה עובדת עבודה זרה אסור להרגו
Une fidèle a donc le droit, si les conditions s’y prêtent, de tuer sans jugement un de ses frères qui a publiquement un rapport avec une idolâtre. C’est sur cette base que Pin’has a agi :
« Il a vu l’acte, et s’est souvenu de la Halakha » (Sanhédrin 82a)
רָאָה מַעֲשֶׂה וְנִזְכַּר הֲלָכָה
Le geste de Pinhas n’était donc pas celui d’un exalté, son acte était une mitzva et Hashem va même témoigner de la sincérité de son acte :
« Pin’has fils d’Eléazar… a calmé Ma fureur contre les enfants d’Israël en prenant à son compte ma colère vengeresse » (Bamidbar 25, 11)
פִּינְחָס בֶּן אֶלְעָזָר בֶּן אַהֲרֹן הַכֹּהֵן הֵשִׁיב אֶת חֲמָתִי מֵעַל בְּנֵי יִשְׂרָאֵל בְּקַנְאוֹ אֶת קִנְאָתִי
Le Midrash ajoute :
« Le Saint a dit : ‘Il est juste que Pin’has reçoive sa récompense’ » (Bamidbar Rabba 21, 1)
אָמַר הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא בְּדִין הוּא שֶׁיִּטֹּל שְׂכָר
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Pinhas reçoit sa récompense
Pinhas, comme on le verra, va recevoir sa récompense immédiatement après son acte alors que, selon nos Sages ז »ל :
« Il n’y a pas de récompense pour une mitzva dans ce monde » (Kidoushin 39b)
שכר מצוה בהאי עלמא ליכא
Essayons, tout d’abord, de comprendre pourquoi Pin’has a reçu sa récompense immédiatement. Rashi explique, à travers les paroles d’Hashem, quelle a été la motivation de Pinhas :
« Par son acte, Pin’has a appliqué ma vengeance en prenant sur lui la colère que J’aurais dû exprimer » (Rashi sur Bamidbar 25, 11)
בנקמו את נקמתי, בקצפו את הקצף שהיה לי לקצוף
Réèm explique Rashi ainsi :
« Pinhas n’a calmé la colère d’Hashem que par le fait de L’avoir effectivement vengé »
פנחס לא השיב את חמתו של הקדוש ברוך הוא אלא על ידי הנקמה שעשה בפועל
Pin’has n’a donc accompli cet acte pour se distinguer ni pour en tirer de la gloire. Il ne l’a fait que parce que, si l’on peut dire, il a ‘ressenti’ la colère d’Hashem et il a voulu l’apaiser en réalisant Sa vengeance à Sa place. C’est sur ce point que l’acte de Pin’has était exceptionnel parce qu’il ne fut certainement pas le seul à ‘ressentir’ la colère d‘Hashem lorsque Zimri défia Moshé, mais lui seul agira et ira jusqu’à risquer sa vie pour apaiser cette colère. Cet acte démontrait à quel point Pin’has était sincèrement ‘attaché’ à Hashem.
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L’attachement de Pin’has
En réalité, tout homme peut s’attacher à Hashem mais pour y parvenir il doit accomplir les paroles de la Torah :
« Marchez dans toutes Ses voies et attachez-vous à Lui »
לָלֶכֶת בְּכָל דְּרָכָיו וּֽלְדָבְקָה בֽוֹֹ
Autrement dit, un homme ne peut s’attacher à Hashem que s’il ‘marche dans les voies d’Hashem’, c’est-à-dire, selon le midrash :
« Marcher dans Ses voies : …De même qu’Hashem est appelé ‘bienveillant’ toi aussi soit appelé ‘bienveillant’… » (Sifri Devarim ‘Ékev 39)
לכת בכל דרכיו… נקרא המקום רחום אף אתה היה רחום הקדוש ברוך הוא נקרא חנון אף אתה היה חנון
En réalité donc, Pin’has s’est attaché à Hashem parce qu’il a acquis les qualités d’Hashem et que comme Lui il était bienveillant. Son acte, malgré sa cruauté, fut donc un acte bienveillant non seulement vis-à-vis d’Hashem, mais également vis-à-vis de ses frères puisqu’il provoqua l’arrêt de la plaie qui le décimait. On peut à présent comprendre que Pin’has, par cet acte exceptionnel, mérita une récompense hors du commun :
« Voici, Je lui donne mon Alliance de Paix »
הִנְנִי נֹתֵן לוֹ אֶת בְּרִיתִי שָׁלם
Nous allons voir, en effet, que cette récompense est la plus grande qu’un homme puisse recevoir. Cependant, elle ne signifie pas que Pinhas ne connaîtra plus la guerre puisque, juste après cet épisode, Moshé reçoit l’ordre de frapper les midianites et que pour exécuter cet ordre :
« Moshé envoya à la guerre mille hommes par tribu, accompagnés de Pinhas » (Bamidbar 31, 6)
וַיִּשְׁלַח אֹתָם משֶׁה אֶלֶף לַמַּטֶּה לַצָּבָא אֹתָם וְאֶת פִּינְחָס
S’il en est ainsi, il nous faut découvrir quelle est cette Alliance de Paix offerte à Pin’has. Pour cela, il faut s’intéresser à une autre forme de paix, la paix intérieure de l’homme.
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Quelle paix reçoit Pin’has ?
Il faut tout d’abord savoir que tant qu’un homme éprouve un manque, c’est-à-dire tant qu’il n’a comblé pas ses désirs, il ne peut pas connaître la paix intérieure. Or, les Sages enseignent qu’il existe trois formes de désirs chez l’homme, a priori négatives puisqu’elles peuvent le conduire à sa perte :
« La convoitise (Kin’a), le course aux plaisirs (Ta’ava) et la recherche des honneurs (Kavod) expulsent l’homme de ce Monde » (Avot 4, 21)
הַקִּנְאָה וְהַתַּאֲוָה וְהַכָּבוֹד מוֹצִיאִין אֶת הָאָדָם מִן הָעוֹלָם
Selon Maharal (Derekh Haïm 4, 22) ces trois sources de désirs proviennent de trois forces intérieures associées aux trois parties qui constituent l’homme :
« La première est son esprit, la deuxième est son être (Nefesh) et la troisième est son corps, ces trois parties constituent la totalité des composantes de l’homme » (Maharal Derekh Haïm 4, 13)
כי יש באדם ג’ חלקים, החלק האחד הוא השכל שבאדם, החלק הב’ הוא הנפש, החלק הג’ הוא הגוף, אלו ג’ חלקים הם כל חלקי האדם
Bien que ces trois formes de désirs peuvent conduire l’homme à sa perte, elles lui sont en réalité indispensables. En effet, la force liée au corps entraîne l’homme à rechercher des plaisirs mais sans elle, l’homme ne chercherait même pas à remplir les besoins minimums de son corps et il ne pourrait pas subsister. La force liée à son être l’entraîne à convoiter ce que l’autre possède, c’est aussi cette force qui permet à l’homme de progresser et sans elle, l’homme ne peut pas atteindre la maturité. Quant à la force liée à son esprit elle le pousse à rechercher les honneurs, mais là encore, sans ce désir, l’homme ne voudrait même pas chercher à accroître ses connaissances et à dépasser ses capacités.
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Le désir du superflu
On peut comprendre que si Hashem a donné à l’homme de telles forces c’est dans le but qu’il vive, se développe et s’élève vers le bien. C’est donc dans les limites fixées par ce but que l’homme doit se servir de ces forces. Mais, en réalité, l’homme va constamment chercher à sortir de ces limites car :
« Toutes les pensées de son cœur penchent vers le mal en permanence » (Bereshit, 6, 5)
וכל יצר מחשבת לבו רק רע כל היום
Et que, par nature :
« Le penchant du cœur de l’homme est mauvais dès ses premiers mouvements » (Bereshit 8, 21)
יֵצֶר לֵב הָאָדָם רַע מִנְּעֻרָיו
Le penchant naturel au mal va donc entraîner l’homme à se servir de ces trois forces pour sortir des limites du bien, c’est pourquoi, s’il veut échapper à l’influence de son Yetser Hara’, l’homme doit suivre le conseil de nos Sages :
« L’homme doit, en permanence, exciter son Mauvais Penchant avec le Bon » (Berakhot 5a)
לעולם ירגיז אדם יצר טוב על יצר הרע
Ce que Rashi explique ainsi :
« Qu’il fasse la guerre à son Yetser Hara ! »
שיעשה מלחמה עם יצר הרע
Cette lutte contre sa propre nature va durer toute la vie et elle va même s’amplifier à mesure que l’homme s’élève puisque :
« Celui qui a plus de qualités que son ami, possède aussi un Yetser Hara’ plus grand que lui » (Soucca 52a)
כל הגדול מחבירו יצרו גדול הימנו
En d’autres termes, l’homme ne pourra pas connaître la paix de son vivant et il devra fournir toujours plus de force pour lutter contre son Yetser Hara’.
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S’armer pour la lutte
Cependant, ces trois forces ont été implantées dans l’homme pour qu’il puisse le rapprocher d‘Hashem et pas pour l’en éloigner. C’est pourquoi, Hashem a donné la Torah afin de l’aider à limiter l’influence de son Yetser Hara et à éviter ses pièges :
« ‘Mes enfants ! J’ai créé le Yetser Hara’, et J’ai créé pour lui la Torah, afin de l’adoucir’ » (Kidoushin 30b)
כך הקדוש ברוך הוא אמר להם לישראל בני בראתי יצר הרע ובראתי לו תורה תבלין
La Torah va permettre à l’homme de lutter contre son Yetser Hara’ mais également de combler ses manques et ses désirs ainsi que l’exprime David :
« La Torah de Ta bouche vaut plus que des montagnes d’or et d’argent » (Tehilim 119, 72)
טוב לי תורת פיך מאלפי זהב וכסף
Ainsi, la Torah est pour l’homme à la fois une arme contre son pire ennemi et une source de plaisirs sains, c’est pourquoi c’est à elle qu’il doit consacrer les trois forces qu’il a reçues. Et si la lutte contre le Yetser Hara’, comme on l’a vu, doit se prolonger et s’intensifier tout au long de la vie c’est parce que l’objectif de l’homme est très haut placé, ainsi que l’écrit Maharal :
« La Torah enseigne et indique à l’homme la Voie de la Vie afin qu’il atteigne la Réussite Parfaite : l’Attachement (Dvékout) à Hashem ית’ » (Tiferet Israël 9)
שהתורה היא מלמדת ומורה לך דרך החיים שהאדם יקנה הצלחה האחרונה, היא הדבקות בו יתברך
Or, pour atteindre un but aussi élevé, l’homme doit rester constamment vigilant et ne pas tomber dans les pièges de la satisfaction et de l’habitude tendus sur son chemin par le Yetser Hara’ pour le détourner de son objectif.
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L’Alliance de Paix de Pin’has
Pin’has avait lutté, lui aussi, contre son mauvais penchant et avait atteint, grâce à ses efforts, un très haut niveau d’attachement avec Hashem. Il a prouvé son attachement en risquant sa vie pour apaiser Sa colère et c’est la raison pour laquelle ’Hashem lui a offert, mesure pour mesure, la plus grande récompense qu’un homme puisse espérer en ce monde :
« Voici, Je lui donne mon alliance de paix, c’est-à-dire la paix avec l’Ange de la Mort, pour qu’il ne le domine plus jamais » (Zohar Pinhas Soulam 21)
הנני נותן לו את בריתי שלום. היינו שלום ממלאך המות, שאינו שולט עליו לעולם
Qui est cet Ange de la Mort ?
« L’Ange de la Mort, c’est le Yetser Hara’ » (Baba Batra 16a)
הוא יצר הרע הוא מלאך המות
Cette alliance garantissait à Pin’has que son Yetser Hara’ ne chercherait plus à le dominer comme il le fait avec tous les hommes :
« Chaque jour, le Yetser Hara’ de l’homme prend sur lui le dessus et cherche à le tuer ! » (Soucca 52b)
אמר רבי שמעון בן לקיש צרו של אדם מתגבר עליו בכל יום ומבקש להמיתו
Et puisque le Yetser Hara’ est le seul véritable ennemi de l’homme, Pin’has connaîtra, de son vivant, la paix véritable.