Qu’attendre d’Hashem en échange de nos efforts
Par Dan Devash
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Aux portes d’Eretz Israël
Moshé va prier avec insistance pour qu’Hashem annule le décret qui lui interdit d’entrer en Eretz Israël, mais il ne sera pas exaucé, c’est Yehoshou’a qui conduira la conquête de la Terre d’Israël à la tête des israélites. Moshé, cependant, aurait mérité d’être exaucé grâce à ses mérites mais, comme l’explique Rashi :
« Bien que les justes aient la possibilité de mettre sur la balance leurs bonnes actions, ils ne demandent à être exaucés par Hashem qu’à titre gratuit. » (Devarim 3, 23)
אע »פ שיש להם לצדיקים לתלות במעשיהם הטובים אין מבקשים מאת המקום אלא מתנת חנם
Autrement dit, Moshé ne demande pas à Hashem de l’exaucer en raison de ses mérites, mais de lui faire une faveur.
Cependant, les paroles de Rashi posent un problème selon Rabbi Yo’hanan qui affirme :
« Le Créateur ne doit rien à qui que ce soit » (Devarim Rabba Vaet’hanan 1)
אֵין לִבְרִיָה כְּלוּם אֵצֶל בּוֹרְאָה
Si Hashem ne doit rien à personne, comment peut-on affirmer que les justes ont la possibilité de mettre sur la balance leurs bonnes actions ?
Rabbi Lévi, cependant, ne semble pas être de cet avis :
« Celui à qui Je dois quelque chose, J’exprimerai ma compassion envers pour lui et, par pitié, J’agirai en sa faveur … » (id.)
כך אמר הקדוש ברוך הוא למשה… מי שיש לו בידי, ‘ורחמתי’, במדת רחמים אני עושה עמו
Contrairement à l’avis de Rabbi Yo’hanan, Rabbi Levy pense qu’il y a des personnes à qui Hashem doit quelque chose !
Essayons de comprendre ce qui oppose ces deux Sages.
À quel titre Hashem nous rétribue-t-il ?
Il faut noter, tout d’abord, que Rabbi Yo’hanan semble s’opposer à la Torah elle-même puisque, à de nombreuses reprises, celle-ci promet des récompenses à ceux qui lui sont fidèles. Il est donc légitime que celui qui durant sa vie s’est mis au service d’Hashem et de Sa Torah en attende une rétribution et si, comme l’affirme Rabbi Yo’hanan, Hashem ne doit rien à personne, à quel titre recevra-t-il la récompense de tous ses efforts ?
En réalité, l’enseignement de Rabbi Lévy, lui aussi, soulève des problèmes car il met les paroles suivantes dans la bouche d’Hashem :
« Celui à qui Je dois quelque chose, J’exprimerai ma compassion envers lui et par bienveillance, J’agirai en sa faveur… Quant à celui à qui Je ne dois rien, il trouvera grâce à mes yeux et je le rétribuerai gratuitement … » (id)
מי שיש לו בידי, ‘ורחמתי’, במדת רחמים אני עושה עמו ומי שאין לו בידי, ‘וחנותי’, במתנת חנם אני עושה עמו
Or, ce devrait être l’inverse, car si Hashem doit quelque chose à quelqu’un parce que, par exemple, ce fidèle a fait de bonnes actions, il devrait trouver grâce à Ses yeux et être rétribué gratuitement, tandis que l’individu à qui Hashem ne doit rien parce qu’il n’a pas de mérite, il ne devrait être gratifié que par bienveillance.
Une loi de la Nature
Pour mettre de l’ordre dans tout cela, il faut savoir que par nature aucun être ne peut fournir un effort ou s’imposer un joug sans contrepartie et cela est vrai même pour les érudits qui étudient la Torah assidûment et pratiquent les mitzvot avec ferveur. Parmi ces derniers, on peut distinguer deux catégories qui diffèrent par la nature de la récompense qu’ils attendent en échange de leurs efforts.
Les fidèles de la première catégorie pratiquent la Torah et les mitzvot afin d’atteindre le bonheur que ce soit dans ce Monde-ci, dans le Monde Futur ou souvent même, dans les deux. Et même s’ils leur foi est sincère, l’essentiel de leur motivation est la crainte de s’écarter du chemin de la Torah et d’être ainsi privé de la récompense promise ou, pire encore, d’être puni.
Les fidèles de la deuxième catégorie pratiquent la Torah pour donner satisfaction à Hashem, c’est-à-dire sans attendre de contrepartie en échange de leurs efforts. Or nous avons vu que par nature nul homme ne fait d’effort sans contrepartie et dans ce cas, la source de leur motivation se trouve ailleurs. En effet, selon un autre principe naturel, l’homme s’annule face à une personne pour qui il a une grande estime et éprouve du plaisir à la servir. Ainsi, les fidèles de cette catégorie ont une telle vénération pour Hashem qu’ils tirent de la satisfaction du fait même qu’ils Le servent.
Servir Hashem pour soi-même
Aux fidèles qui pratiquent la Torah dans le but de recevoir une récompense Hashem ne doit rien puisque, en définitive, c’est pour eux-mêmes qu’ils travaillent. C’est pourquoi, lorsque Hashem dit : ‘Celui à qui Je dois quelque chose’ il faut comprendre : « Celui qui pense que Je lui dois quelque chose, alors J’aurai de la compassion pour lui », malgré tout, Hashem donnera à ces fidèles les récompenses promises par la Torah, mais il le fera par pitié.
Quant aux fidèles de la deuxième catégorie, ils n’attendent rien d’Hashem puisqu’ils tirent déjà leur satisfaction en Le servant et s’ils Lui demandent une faveur, ils le feront comme l’explique Rashi au sujet de Moshé :
« Les tsadikim ne demandent à être exaucés par Hashem qu’à titre gratuit » (Rashi Devarim 3, 23)
אין מבקשים מאת המקום אלא מתנת חנם
Ainsi, il n’y a pas de controverse entre Rabbi Yo’hanan et Rabbi Levi, tous deux affirment qu’Hashem ne doit rien à personne ce qui, d’ailleurs, découle d’un des fondements de la Torah concernant Hashem :
« Il est un Être absolument parfait en qui le manque n’a pas sa place » (Ram’hal, Derekh Hashem 1, 1, 2)
שהוא מצוי שלם בכל מיני שלמות ולא נמצא בו חסרון כלל
Du fait de Sa perfection, on ne peut rien ajouter ni enlever à Hashem, Il ne reçoit rien et donc, II n’a rien à rendre et c’est au contraire nous-même qui lui devons tout :
« Même si les bonnes actions de l’homme étaient aussi nombreuses que les grains de sable de la Terre, elles n’auraient aucun poids face à une seule des bontés du Créateur ית’, à son égard » (‘Hovot Halevavot Sha’ar Habita‘hon 4)
אם היה מעשה האדם כחול הים במספר לא יהיה שקול בטובה אחת מן טובות הבורא יתברך עליו
L’effort intéressé mène à l’effort désintéressé
En réalité, tout fidèle contient en lui ces deux approches de la Torah, puisque les Sages affirment :
« L’homme doit nécessairement s’investir dans la Torah et les mitzvot, même de manière intéressée, parce que c’est en le faisant de manière intéressée qu’il en arrive à le faire de manière désintéressée » (Sanhédrin 105b)
לעולם יעסוק אדם בתורה ובמצווה אפילו שלא לשמה, שמתוך שלא לשמה בא לשמה
Autrement dit, il n’y a rien de négatif à pratiquer la Torah dans le but de recevoir une récompense, au contraire, ce n’est que grâce à cela que l’homme peut parvenir à vénérer Hashem et à le servir de manière désintéressée. Cependant, celui qui sert Hashem de manière intéressée doit s’efforcer de connaître Hashem, afin de le grandir à ses yeux autant que possible. C’est là le sens de l’ordre du roi David à son fils :
« Quant à toi Shlomo, mon fils, connaît le D. de tes pères et sers-le sincèrement » (Divrei Hayamim 1 28 9)
ואתה שלמה בני דע את אלהי אביך ועבדהו בלב שלם
Il ressort de cela que le fidèle doit consacrer une part importante de son service à la Connaissance d’Hashem, comme le Hovot Halevavot explique :
« La connaissance d’Hashem place l’homme au niveau suprême, parce que celui qui Le connaît véritablement, s’attachera à Le servir et à Le révérer à la mesure de la connaissance qu’il aura acquise » (Sha’ar Heshbon Nefesh 6)
וזאת היא המדרגה העליונה שבידיעת האל יתברך, כי מי שידעהו באמת, ידבק בעבודתו וביראתו, כפי ידיעתו (בהתאם למה שהוא יודע אותו – לב טוב)
Rambam, quant à lui, désigne la connaissance d’Hashem comme étant le seul objectif de l’homme :
« L’homme doit fixer ses yeux vers un but unique : ‘saisir’ Hashem à la mesure de ses capacités, c’est-à-dire, parvenir à Le connaître » (Rambam Shemona Perakim 5)
לשים לנגד עיניו תכלית אחת והיא, השגת ה’ יתפאר ויתרומם כפי יכולת האדם. רצוני לומר, ידיעתו
Connaître Hashem
En réalité, Hashem Lui-même, à travers les versets du prophète, nous apprend que les efforts de l’homme pour connaître Hashem ont plus de valeur que tous ses autres efforts :
« Le Sage n’a pas à se vanter de sa sagesse, ni le Brave de sa force, ni le Riche de sa richesse. La seule chose dont l’homme puisse se prévaloir, c’est que l’objet de ses réflexions soit de Me connaître » (Yirmyahou 9, 22-23)
אַל יִתְהַלֵּל חָכָם בְּחָכְמָתוֹ וְאַל יִתְהַלֵּל הַגִּבּוֹר בִּגְבוּרָתוֹ אַל יִתְהַלֵּל עָשִׁיר בְּעָשְׁרוֹ כִּי אִם בְּזֹאת יִתְהַלֵּל הַמִּתְהַלֵּל הַשְׂכֵּל וְיָדֹעַ אוֹתִי
Le verset ne parle bien sûr par des qualités innées de l’homme sur lesquelles il n’a aucune raison de se vanter, mais de qualités qu’il lui a fallu acquérir par de grands efforts, comme le décrivent les Sages de la Mishna :
« Qui est Sage ? C’est celui qui apprend de tout homme … Qui est Brave, c’est celui qui domine son mauvais penchant … Qui est riche ? C’est celui qui est heureux de ce qu’il possède » (Avot 4, 1)
איזהו חכם הלומד מכל אדם… איזהו גבור הכובש את יצרו… איזהו עשיר השמח בחלקו
Bien que ces qualités soient très difficiles à acquérir, Tossefot Yom Tov explique qu’elles n’ont de valeur que si elles conduisent l’individu à la connaissance du Créateur :
« Ce n’est que si, par sa réflexion, l’individu cherche à connaître Hashem qu’il fera partie des ‘sages’, des ‘braves’ et des ‘riches’ » (Tossefot Yom Tov sur Avot 4, 1)
אם השכל וידוע אותי הוא עצמו בכלל החכמה והגבורה והעושר
Rashi insiste également, au sujet de la Sagesse qui est la principale qualité de l’érudit en Torah :
« Que vaut votre sagesse si vous méprisez ce qui Me concerne ? C‘est seulement si, par votre réflexion, vous parvenez à Me connaître que vous pourrez vous vanter de votre sagesse » (Rashi sur Yirmyahou id.)
בדברי מאסתם וחכמת מה לכם אם השכלתם וידעתם אותי אז תתהללו בחכמתכם
Connaître les qualités d’Hashem
Il reste à savoir ce qu’est, en substance, cette ‘connaissance d’Hashem’ et c’est la suite des versets du prophète qui le dévoile :
« Je suis Hashem qui fais le Bien, établis la Justice et veille à l’Équité sur la Terre, car c’est là toute Ma volonté » (Yirmyahou 9, 22-23)
כִּי אֲנִי ה’ עֹשֶׂה חֶסֶד מִשְׁפָּט וּצְדָקָה בָּאָרֶץ כִּֽי-בְאֵלֶּה חָפַצְתִּי
En réalité, tout fidèle est convaincu de la volonté d’Hashem de faire le bien et la justice, mais en même temps, il est témoin en permanence d’injustices et de malheurs qu’il est incapable d’expliquer. Si bien que même s’il a foi dans la volonté bienfaisante d’Hashem, il ne la ressent pas et cela qui l’empêche de saisir la grandeur d’Hashem.
C’est pourquoi le fidèle doit s’efforcer grâce à son étude et à ses actes, d’accroître sa ‘connaissance d’Hashem’, jusqu’à ce qu’il devienne clair pour lui que les contradictions qu’il observe ne sont que l’expression de la bonté et de la justice absolues d’Hashem. Rambam explique comment, selon lui, l’homme peut atteindre cette connaissance :
« L’homme doit concentrer ses efforts à comprendre et à développer son intelligence dans les sciences et les réflexions qui le conduisent à la connaissance de son créateur, à la mesure des capacités de son esprit et de la puissance de sa réflexion » (Hilkhot Téshouva 10,6)
צריך האדם ליחד עצמו להבין ולהשכיל בחכמות ותבונות המודיעים לו את קונו כפי כח שיש באדם להבין ולהשיג
C’est à cette condition qu’il pourra vénérer sincèrement Hashem et faire partie de ceux qui ‘savent’ qu’Hashem ne leur doit rien parce qu’ils éprouvent de la joie à Le servir et que cette joie est déjà une récompense inestimable.