La rosée de la résurrection des morts
Par Yossef Aflalo
Il est rapporté dans le Pirké déRabbi Eliézer, qu’Yitshak Avinou a appelé son fils aîné Essav, et lui a demandé:
« Mon fils, en cette nuit de Pessah, tout le monde récite le Hallel, et les trésors de tal (de rosée) nous sont ouverts. « Prépare-moi un met raffiné ».
Nous connaissons la suite: Rivka, ayant eu vent du projet, ordonne à Yaakov de se substituer à Essav. Yaakov va alors se dépêcher de préparer à son père chené guédayé izim (deux chevreaux).
Mais Yitshak allait-il consommer à lui seul deux chevaux ? Avait-il un appétit aussi féroce ?
Non, bien sûr ! Un chevreau était nécessaire au korbane Pessah, et l’autre était destiné à être consommé.
Nous voyons ici que la nuit de Pessah est un temps propice à la bénédiction d’Yitshak, et que celle-ci est en rapport avec la profusion de tal (de rosée), qui est déversée dans le monde à cet instant.
C’est d’ailleurs par le tal que va commencer la bénédiction d’Ytshak, comme il est dit: « Véyiten lékha haÉlokim mital haChamayim (que Dieu puisse te donner de la rosée des Cieux) ». Quel est donc le sens de ce tal, de cette rosée ?
Le Gaon de Vilna affirme même que tous les bienfaits de ce monde-ci et du monde à venir (olam haba) ont pour origine cet instant précis de la nuit de Pessa’h, où Yitshak a béni Yaakov et que l’absence de ces bénédictions aurait pu conduire le Am Israël à un vide total.
Il y a donc un rapport entre le korbane Pessa’h et la bénédiction sur la rosée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons la coutume de réciter le tikoun hatal (la prière sur la rosée) le premier jour de Pessah. Car le tal, cette rosée, est la conséquence directe des berakhot que Yaakov a reçu de son père.
Sans ces berakhot, le Am Israël n’aurait pas pu survivre. Mais quel est donc le mystère de ce tal ?
Le Gaon de Vilna rapporte le verset suivant de Michlé: « Bédaato téhomot nivkaou ouch’hakim yir’afou tal (par Sa science, les abimes s’entrouvrent, et les nuées ruissellent de rosée) ». Ce qui signifie que la pluie monte de la terre, même si elle tombe du ciel; et la rosée tombe toujours du ciel vers la terre.
Il y a donc ici un double-mouvement:
– un mouvement ascendant, représenté par la pluie;
– et un mouvement descendant, symbolisé par la rosée.
En d’autres termes, la rosée et la pluie font une jonction, un lien entre le ciel et la terre.
Mais il existe toutefois une différence fondamentale entre ces deux éléments:
Pour bénéficier du chéfa (de l’abondance), encore faut-il déclencher le mécanisme adéquat. Ce chéfa est le résultat direct des actes de l’homme: plus ces actes seront en harmonie avec le rétsone Hachem (la volonté de Dieu), plus les sources du chéfa seront activées et se déverseront dans le monde ici-bas. C’est cela qu’on appelle matar (la pluie).
Il faut comprendre ici que plus un homme révélera des vérités profondes de Torah durant son existence de part sa avoda (son dévouement à Dieu), et plus il sera en rapport avec la spiritualité, plus il aura alors le mérite de se lier avec l’infini et de recevoir en retour le chéfa, c’est-à-dire d’attirer sur lui la lumière divine.
C’est ce que dit le verset « vé’éd ya’alé min haarets », qu’une vapeur montera de la terre, en référence à ce matar (cette pluie) qui monte de la terre, et qui finit par redescendre après la avoda requise. Ainsi, de cette manière, la terre se relie au ciel, afin de recevoir la lumière divine. Mais elle reste néanmoins détachée de sa source, et continue à être une entité autonome.
Contrairement à la pluie, l’apparition de la rosée n’est par contre pas perceptible. La rosée est bien présente, nous pouvons la voir, bien que son processus d’apparition échappe à notre vision. Ce tal ne provient pas de l’infini. Il est produit par la terre elle-même. Car, à la fin des temps, la lumière divine ne proviendra pas du olam haélyione, mais elle sera révélée dans notre monde ici-bas. Nous comprendrons alors qu’au sein-même de notre existence dans le olam hazé, est enfoui quelque-chose qui n’a pas de rapport avec la matérialité, qui est infini et éternel, de la dimension du olam haba. C’est cela la rosée, le tal.
La Guemara Chabbat rapporte (à la page 88) :
– que lorsque Dieu a dit au Mont Sinaï les deux premiers commandements, « Anokhi Hachem Elokékha (Je suis l’Éternel ton Dieu) » et « Lo yihyé lékha élohim al panay (tu n’auras pas d’autres dieux que Moi) », à cet instant, les Bené Israël sont morts, leur âme les a quitté;
– et que Dieu a fait descendre la rosée de résurrection, qui sera utilisée à la fin des temps pour ressusciter les morts.
La te’hiyat hamétim se réalisera avec le tal, la rosée. Car, en réalité, la résurrection des morts, c’est la révélation de la vie éternelle du corps. Et même si ce corps est mort, inanimé, enseveli sous la terre, il contient en lui un élément immatériel, de la dimension du olam haélyione, qui permettra la vie éternelle.
C’est cela la résurrection des morts. C’est, à la fin des temps, vivre la dimension du olam haba dans le olam hazé, sans coupure entre les deux mondes, entre le ciel et la terre. Et ceci ne pourra être réalisé que par le tal, que par cette rosée.
Ainsi, cette rosée transforme la mort en vie, car elle révèle:
– que le corps contient en lui quelque-chose d’éternel, même après sa mort;
et qu’il n’existe pas de rupture entre le ciel et la terre.
Nous pouvons comprendre, dès lors, pourquoi Yitshak tenait tant à donner ses bénédictions à Essav.
Essav provient du mot assia, le monde de l’action, ce monde-ci, purement matériel; alors que Yaacov a, lui, hérité du olam haba.
La mission d’Essav consistait à assujettir le olam hazé au olam haba, à en faire le tikoun (la réparation). Mais il a échoué, laissant la place à Yaakov pour y parvenir.
Essav aurait dû recevoir la bénédiction de son père sur la rosée, car le olam hazé était son héritage. Mais, hélas, Essav considérait qu’il n’y avait pas de lien entre ciel et terre, lorsqu’il s’est exclamé « hinéni holekh lamout (voici que je vais mourir) » pour un simple plat de lentilles !
Chez Essav, le olam hazé est synonyme de mort.
Yaakov n’avait ainsi plus d’autres choix que de recevoir le olam hazé, et de révéler la dimension d’éternité dans notre monde matériel.