Le secret de Makhpéla
Par Yossef Aflalo
La paracha de Hayé Sarah rapporte la rencontre insolite entre Avraham et Efron le ‘Hitéen.
Sarah vient de mourir, et Avraham cherche un endroit pour l’enterrer, et va s’intéresser à une grotte, située au fond d’un champ appartenant à Efron.
Efron n’en revient pas ! Cet immense rocher, situé sur un terrain aride, rocailleux dérange Efron, qui ne cherche qu’à s’en débarrasser. Quelle occasion unique pour ce paysan, cet agriculteur riche et réputé !
Après une négociation commerciale, Avraham achète ce grand rocher, qu’on appelle encore aujourd’hui Maarat hamakhpéla (la grotte de Makhpéla).
Mais qu’est-ce qui a poussé Avraham à vouloir acquérir cette grotte ?
Le Zohar Hakadosh nous apporte un éclairage sur cette question : il y aurait un rapport direct entre Maarat Hamakhpéla et le Gan Éden. Adam Harishone y a enterré Hava, ainsi que son fils Chet. Mais ceci a été oublié au fil du temps.
Rabbi Élazar (le fils de Rabbi Chimon bar Yo’hay) nous dévoile que, le jour où Avraham a reçu les trois malakhim (les trois anges) pour accomplir la mitsva de hakhnassat or’him (d’accueillir des invités), il est rapporté qu’Avraham a pris un veau tendre, pour l’offrir en repas à ses invités. Mais le veau s’est enfui, et Avraham a couru après lui pour le rattraper, comme il est écrit: « véel habakar rats Avraham ». Le veau s’est ensuite réfugié dans la grotte, poursuivi par Avraham qui, à son tour, va y pénétrer. Et là, stupéfaction ! Avraham ressent la Chékhina (présence divine) à l’endroit même où Adam et Hava sont enterrés ! Un parfum de Gan Éden inonde la grotte ! Avraham comprend que cet endroit est rattaché au Gan Éden.
Makhpéla signifie en Hébreu « le double », car cet endroit va rattacher les deux mondes: le monde d’en-haut, et notre monde ici-bas. Et ce n’est pas un hasard si Maarat Hamakhpéla est située dans la ville de Hévron. Car le mot « Hévron » a pour racine ‘hibour (le lien). Cet endroit fait la jonction entre ce monde et le olam haélyone (le monde d’en-haut).
Le Midrash dit que celui qui est enterré à Makhpéla se voit attribuer une double récompense (« sekharo kafoul oumékhoupal »).
De quoi s’agit-il ?
Lorsqu’on parle de kefélout (de dédoublement), cela indique un état de chlémout (de perfection). Une adéquation parfaite entre l’objectif recherché (celui qui correspond à sa propre origine divine, donc parfaite, dans le olam haélyone), et l’objectif atteint dans notre monde ici-bas. Si toutes les différences sont abolies, et qu’il y a une véritable concordance, une symbiose absolue entre ma vie terrestre et ce que je suis réellement dans le olam haélyone, alors cela s’appelle vivre dans les deux mondes.
A propos d’Avraham, il est dit: » וַיֹּאמֶר אַבְרָהָם | אַבְרָהָם ».
Le mot Avraham est répété deux fois; mais, entre les deux Avraham, il y a un psik, c’est-à-dire un trait de séparation. Cela signifie qu’entre le néfech d’Avraham dans le olam haélyone et son néfech dans le monde ici-bas, une différence persiste. Le corps (donc la matière) s’interpose entre les deux. Car cette matière n’a pas totalement réussi à être sanctifiée, et à s’élever au point de fusionner avec le néfech.
En revanche, à propos de Moché Rabbénou, il est dit : » וַיֹּאמֶר משה משה »
Là aussi le mot Moché est répété à deux reprises, mais cette fois-ci sans le psik, c’est-à-dire sans le trait de séparation. Car Moché, lui, a réussi à transcender la matière, et à fusionner avec son néfech au point qu’il n’y a plus aucune différence entre le Moché d’en-haut et le Moché d’en-bas. Entre la réalité de la néchama dans le olam haélyone, et sa manifestation dans le monde ici-bas.
La Maarat Hamakhpéla dans le monde est similaire à celle qui existe dans l’homme. Chez l’homme, il existe en effet des points de jonction qui vont relier le corps à l’âme. Ces points de jonction, ce sont les mitsvot accomplies avec promptitude, avec rapidité. Car celui qui se hâte, qui agit avec empressement pour accomplir la mitsva, affiche sa volonté d’annuler la dimension du temps et de s’élever au-dessus d’elle.
Lorsqu’Avraham voit les trois visiteurs, il est écrit: » וַיַּרְא, וַיָּרָץ לִקְרָאתָם ».
Il les voit, et il a couru à leur rencontre.
Lorsqu’il s’agit de nourrir ses invités, il est écrit: » וְאֶל-הַבָּקָר, רָץ אַבְרָהָם »,
Avraham va courir après le veau.
L’empressement, la hâte qu’on retrouve chez les patriarches, témoigne de la détermination à annihiler le temps et la matière, et à l’assujettir au néfech.
A ce propos, ‘Hazal nous enseignent que les mots « ouchemartem eth hamatsot » signifient non seulement qu’il faut surveiller les matsot (pour qu’elles ne deviennent pas ‘hamets), mais aussi qu’il faut surveiller les mitsvot (ouchemartem eth hamitsvot[1]) : de même qu’on ne laisse pas les matsot devenir ‘hamets sous l’influence du temps, on ne laissera pas non plus une mitsva fermenter.
La mitsva ne peut pas attendre. Elle doit être accomplie le plus vite possible !
Ce que ‘Hazal recherchent ici, c’est à abolir le temps, la matière. Les mitsvot ont ce pouvoir. Plus on court vers la mitsva et plus on se fatigue, plus grande sera notre récompense. Car la mitsva a cette faculté de purifier et d’unifier le corps et l’âme, afin que nous puissions jouir de la lumière étincelante du Gan Éden.
C’est cela le secret de Makhpéla : unir le corps à l’âme, et ainsi relier le olam hazé au olam haélyone et parvenir à la dimension d’éternité.
[1] En Hébreu, les mots « matsot » et « mitsvot » sont composés des mêmes lettres